Préface des Éditions de Londres
« La guerre à Shanghai » est un reportage d’Albert Londres réalisé lors de l’attaque japonaise de Shanghai fin janvier 1932.
Albert Londres arrive à Shanghai fin janvier et repart de Chine en mai. C’est son dernier reportage car il périt lors du naufrage de son bateau de retour le 16 mai 1932.
La Chine en 1932
En 1932, la Chine est très désorganisée administrativement. Les seigneurs de la guerre font la loi dans de nombreuses provinces.
En 1912, le pouvoir impérial a été remplacé par la République de Chine de Sun Yat-sen. À la mort de Sun Yat-sen, Tchang-Kaï-chek prend le pouvoir et tente difficilement de fédérer sous son autorité les différents seigneurs de la guerre.
Le siège du gouvernement est alors installé à Nankin.
L’alliance entre le parti national, le Kuomintang, de Tchang Kaï-chek et le parti communiste de Mao Zedong a été rompue en 1927 et les deux partis se font la guerre.
En 1931, les Japonais ont envahi la Mandchourie.
Shanghai en 1932
En 1932, Shanghai est le centre financier de l’Asie du Pacifique. Elle s’est beaucoup développée depuis l’installation des concessions française, anglaise et américaine à partir de 1843, suite à la première guerre de l’opium.
Après la guerre sino-japonaise de 1894-1895, les Japonais furent également autorisés à s’installer à Shanghai où ils construisirent des usines.
La ville, à cette époque, compte plus d’un million d’habitants, dont environ trente mille étrangers dans les concessions.
En 1927, le parti communiste organisa d’importantes grèves à Shanghai et les ouvriers prirent Shanghai aux seigneurs de la guerre. C’est ce qui déclencha la rupture entre le Kuomintang et le parti communiste et une violente répression de la part du gouvernement national contre les ouvriers, le massacre de Shanghai, faisant plusieurs milliers de morts.
Depuis 1930, la ville est une municipalité sous la responsabilité du maire.
La guerre de Shanghai
La guerre de Shanghai désigne le conflit entre les Japonais et la République de Chine qui se déroula autour de Shanghai du 28 janvier au 5 mai 1932.
Suite à l’invasion de la Mandchourie, des tensions apparaissent à Shanghai avec les ressortissants japonais. Le 18 janvier 1932, cinq moines japonais sont molestés devant la fabrique de Sanyou. Les agents japonais mettent le feu à la fabrique et tuent un policier chinois. Les tensions s’aggravent et les Chinois décident un boycott des produits japonais.
Les Japonais font venir une armée autour de Shanghai, sous prétexte de protéger leurs ressortissants et malgré l’engagement du maire de Shanghai de faire cesser les violences anti-japonaises et d’indemniser les Japonais pour les destructions faites, les forces armées japonaises entrent dans Shanghai le 28 janvier.
Le conflit se développa tout le mois de février, les Japonais mobilisant jusqu’à 80 000 hommes. Les forces chinoises sont principalement la 19e armée de route, Tchang Kaï-chek envoyant également la quinzième armée regroupant les troupes d’élite du Kuomintang.
Le 3 mars, l’armée chinoise prise à revers, du abandonner Shanghai et se retira à une trentaine de kilomètres.
L’armistice fut signé le 5 mai. Shanghai devenant une zone démilitarisée.
Le reportage d’Albert Londres
Albert Londres commence son reportage à Shanghai le 31 janvier 1932. Il attribue le conflit au boycottage des produits japonais : « Pour répondre à l’action du Japon en Mandchourie, la Chine, je ne dis pas le gouvernement chinois, car seul Bouddha sait où il est, la Chine avait eu quelques idées. La grande idée de Shanghai fut le boycottage des marchandises japonaises. Les Chinois qui, toujours, se sont passés de tout pouvaient, en effet, à la rigueur se passer aussi, pendant quelque temps, des produits si bien présentés des manufactures japonaises. »
Pour que ce boycottage cesse, les Japonais adressent un ultimatum au maire de Shanghai qui y donne satisfaction le 28 janvier.
Malgré l’accord du maire, les soldats japonais entrent dans Shanghai dans la nuit du 28 janvier en se dirigeant vers Chapeï où se trouve le quartier japonais de la concession internationale. Mais les soldats japonais sont arrêtés par la 19e armée et par les francs-tireurs cachés dans les maisons. Ils occupent Chapeï.
Beaucoup de Chinois quittent Shanghai.
Le 4 février, les Japonais reprennent l’attaque à grand renfort d’artillerie : « Les renforts étant arrivés, ils ont, ce 4 février, déclenché l’offensive. Ils veulent prendre Chapeï, la ligne de chemin de fer et la gare du Nord. »
La situation reste bloquée, la 19e armée de route s’est renforcée : « Cette armée est devenue la terreur non des Japonais, mais des Chinois. Gonflée par le rôle qu’elle a su jouer, les hommes sérieux se demandent ce qui se produira quand elle éclatera. Elle est plus forte qu’au premier jour. De vingt lieues à la ronde, tous les traîne-patins de la province sont accourus avec leurs parapluies renforcer la victoire, victoire voulant dire ici pillage et bombance. Elle a su faire la guerre de rues, se fortifier à Woosung et à Chapeï. Aucune action offensive de sa part, mais une jolie résistance. Aussi, ne se tient-elle plus d’orgueil. »
Le 19 février, les Japonais adressent un nouvel ultimatum exigeant que l’armée chinoise recule à vingt kilomètres de Shanghai. Le chef de la 19e armée refuse.
Le 20 février, les Japonais lancent une nouvelle attaque. Ils ont reçu des renforts et sont vingt-cinq milles. D’autres renforts arrivent. Ils seront trente-sept mille le 22 février. Mais la 19e armée de route résiste bien, empêchant les Japonais d’avancer.
Le 2 mars, la 19e armée s’éloigne de Shanghai. Il semble que ce soit le résultat d’une négociation secrète internationale : « Voilà cinq jours, M. Wilden, ministre de France, s’embarquait pour Nankin. Ses collègues d’Amérique et d’Angleterre entreprenaient le même voyage. Le ciel était noir à ce moment. Chacun craignait l’incident qui eût élargi le feu. Les diplomates séjournèrent trente-six heures dans la capitale transitoire. Ces heures furent les bonnes. Le résultat le prouve. »
L’offensive japonaise a toutefois été violente même si l’on peut penser que les jeux étaient faits : « Mais revenons à Shanghai. L’essentiel, pour l’un comme pour l’autre des adversaires, était de sauver la face. Dès hier, les deux états-majors avaient arrêté leur plan. Tandis que M’Tu Soong, représentant les banquiers et, par extension, ministre des Finances, réglait la question avec le général Tsaï, commandant la 19e armée de grand route, les Japonais débarquaient à Liuho, déchaînaient sur tout le front un tapage sans précédent et, à la nuit, allumaient dans Chapeï l’incendie le plus grandiose de toute la série. »
Dans Shanghai, tous les Chinois armés et les gendarmes quittent les armes : « Les voilà qui jettent leurs fusils, arrachent leurs défroques et revêtent la casaque du coolie. À huit heures, il n’en restait plus un dans les casernes. La responsabilité de ce sauve-qui-peut remonte au chef de la police chinoise. La 19e armée reprenant la route, il voyait déjà les Japonais dans Nantao, aussi avait-il recommandé à ses agents de n’opposer aucune résistance. De peur de faillir à la consigne, ils ont préféré fuir. À part douze d’entre eux, égarés sur notre territoire, on ne sait ce que les autres sont devenus. »
Le reportage d’Albert Londres se termine le 5 mars sur cette victoire des Japonais.
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